Perles du 911

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Les procédés malhonnêtes des théoriciens du complot

Par Rahsaan

(Article repris d'Agoravox)

 

Cette tribune fait suite à deux autres : celle-ci, consacrée au doute cartésien et à ses défigurations par les complotistes et celle-ci, qui traitait des arguments fallacieux employés par les théoriciens du complot contre leurs adversaires.

 

J'étudie cette fois-ci les procédés de distorsion de la réalité qu'ils mettent sans arrêt en oeuvre.

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"Tout ce que vous cherchez et tout ce que vous voyez peut vous persuader de ce que vous croyez déjà".

 

Les théories du complot passent et se ressemblent un peu toutes. Un clou chasse l'autre et à chaque époque, la paranoïa trouve un nouveau support pour s'exprimer : OVNI, zone51, 11-Septembre, affaire Breivik, affaire Merah... Les assertions les plus délirantes et les plus variées se succèdent, mais ce qui demeure, indépendamment du contenu des théories, c'est l'idée que ce que les médias nous montrent et ce que les politiciens nous disent est faux. Faux non par négligence ou précipitation, mais faux par manipulation volontaire, ceci dans le but d'asservir les gens.

 

Je voudrais cette fois prendre l'argumentaire des complotistes par un autre biais : celui, justement, des biais cognitifs (traduction littérale de cognitive bias) qui désigne les distorsions psychologiques qui empêchent de porter un jugement rationnel.

 

A vrai dire, nous en sommes tous victimes : nous écoutons plus l'opinion de nos proches que celles des inconnus, nous préférons entendre les vérités qui nous arrangent etc. Nous sommes des êtres de sensibilité, de passion, d'intérêt, pas des machines observant le monde autour d'elles. 

 

Mais là où quelqu'un de sain d'esprit peut accepter de reconnaître sa mauvaise foi ou ses préjugés, et donc amender son jugement, les complotistes se caractérisent par leur refus ferme et définitif de reconnaître qu'ils raisonnent de travers et que ce sont eux, et pas le "Pouvoir occulte", qui défigurent sans arrêt la vérité.

 

Les théories changent, mais les manières dont la réalité est déformée demeurent. C'est un de catalogue de ces procédés malhonnêtes intellectuellement que je propose ci-dessous. Il n'est sans doute pas possible d'être exhaustif en la matière, mais on peut du moins relever quelques "trucs" particulièrement fréquents et particulièrement malhonnêtes.

 

1 - Insulter l'adversaire. "Fripouille, complice des crimes etats-uniens, vendus, salope des merdias etc." Confine parfois à la poésie : "Vous êtes un négationniste et un complice des assassins dont vous contribuez à camoufler les crimes immondes. Le jour où vous prendrez conscience de l’horreur à laquelle vous participez par votre abyssale crétinerie, vous souhaiterez vous vomir vous-même.Evite d'avoir à réfléchir à ce que dit l'adversaire.

 

2 - Changer de sujet. Technique dite aussi de "l'esquive" ou de l'embrouille. Ou encore : fuite en avant devant les contradictions.

 

3 - Refuser d'écouter. Technique développée par les enfants qui se bouchent les oreilles et disent tout fort "blablablabla" pour couvrir les reproches de leurs parents. Plus grave quand elle est utilisé par quelqu'un ayant passé depuis un moment l'âge de raison. Surdité aux arguments adverses, refus obstiné de voir ses contradictions et ses insuffisances.

 

4 - Ne pas avoir de regard critique sur les sources. Thierry Meyssan l'a dit, donc c'est vrai. Le forum de onnouscachetout l'affirme, donc 'est un fait établi etc. Les jeux de carte Illuminati l'ont annoncé dès 1995 etc. Rejoint ce biais cognitif universel : je ne prête attention qu'à ce qui va dans mon sens. (Je peux admettre que certains cherchent des sources plus "scientifiques" que les Illuminati : cela ne fait que donner, en réalité, une allure pseudo-scientifique à leurs allégations).

 

5 - Véhiculer des informations fausses. Que ce soit par ignorance ou intentionnellement. Procédé le plus courant qui soit. Se conjugue avec la mauvaise foi : "La CIA a toutes les vidéos mais se refuse à les montrer. Bush a fait nettoyer la scène du crime etc.". ("Ce que je dis est vrai contre toute évidence, mais les preuves sont cachées par ceux qui y ont intérêt". Façon particulièrement tordue, et ridicule, d'essayer d'apporter des preuves quand on n'en a aucune).

 

6 - Dénoncer la police de la pensée. Essayer d'user de raison, de réfuter les erreurs, de combattre les mensonges -tout cela passe pour du flicage intellectuel : "raisonnez correctement ou sinon ... !" Là encore, moyen désespéré pour refuser d'écouter les arguments adverses.

 

7 - Parler avec d'autant plus d'assurance qu'on n'y connaît rien. Travers fréquent dans tous les domaines. Plus on est ignorant dans un domaine, moins on a idée de son ignorance, donc plus on se sent à l'aise. A l'inverse, on remarquera qu'un prix Nobel de physique ou de biologie est bien plus prudent quand il essaie de définir ce qu'est la matière ou la vie. Les complotistes, eux, sont devenus, en quelques heures sur Youtube, experts en aérodynamique, en résistance des matériaux, ainsi qu'en psychologie des masses et en sociologie des milieux islamistes.

 

8 - Ne jamais examiner les prémisses de ces raisonnements. Mener un raisonnement formellement valable à partir de données de départ fausses. "Les Américains n'attendaient qu'une occasion pour attaquer les pays Arabes, donc ils ont fait ces attentats".

 

9 - User de sous-entendus et d'insinuations odieuses. Particulièrement pervers, car demande la complicité active de l'auditoire, invité à compléter les raisonnements fallacieux de l'auteur. Procédé fréquent chez Alain Soral, dans ses livres et surtout dans ses vidéos. Ex : "Mai 68 était une révolte contre De Gaulle, le gardien des intérêts Français. Or Cohn-Bendit, leader de mai-68, était Juif donc..." (sous-entendu : les Juifs étaient derrière tout ça).

 

10 - Tout embrouiller. C'est sans doute le procédé le plus fréquent. Ce n'est même d'ailleurs pas tant un procédé qu'une incapacité à s'exprimer clairement et à raisonner avec un minimum d'ordre et de logique. Peut être utilisé volontairement pour jeter la confusion.

 

11 - Manquer d'un élémentaire bon sens. Là encore, moins un procédé qu'un défaut. Ex : "Si c'était bien Al-Qaïda qui avait commis ces attentats, les USA auraient trop eu peur de s'attaquer aux pays arabes car ils auraient vu que les Islamistes ne plaisantent pas et sont trop dangereux". Devant ce genre d'assertion, on ne sait jamais s'il faut rire ou pleurer.

 

12- Prendre ses hallucinations pour ses preuves. Ex : "Une chose que vous ne pouvez pas nier, c’est la réaction de Bush, qui vient de s’apercevoir qu’en s’asseyant, il a actionné la télécommande qui a mis le feu aux tours, et commandé la démolition. On le voit nettement chercher dans sa poche, effrayé et stupéfait".

 

13 - Dire qu'on savait tout depuis le début. Biais très fréquent. Confine à la bêtise quand on le dit à propos de tout. Permet d'éviter de se confronter à ce que l'existence a d'imprévisible et de perturbant. Les théoriciens du complot avaient déjà tout prévu. Si seulement on voulait bien les écouter... Illusion rétrospective. "- Et alors, il va se passer quoi la prochaine fois ? - Mais voyons, cette fois, ce sera imprévisible, ça crève les yeux enfin !..."

 

14 - Déduire tout et n'importe quoi à partir de presque rien. Ex : Un sud-Américain prétend sur Twitter avoir rêvé, juste après que Benoît avait annoncé sa démission, que le prochain pape s'appellerait François. Apparemment, pour les complotistes, cette coïncidence amusante est la preuve de toutes sortes de manigances dans les coulisses du Vatican.

 

15 - Être inconséquent. Ne pas prêter attention aux conséquences et implications délirantes du raisonnement qu'on tient. Revient souvent à porter des accusations extrêmement graves sans même s'en rendre compte. Et à construire une situation franchement absurde. Ex : "Les gens ont entendu un bruit de missile au moment de l'explosion des tours du WTC."

Si on déroule le fil logique, cela signifie donc que les Américains, non contents d'avoir manigancé l'attaque des deux tours par des avions-suicides, ont en plus envoyé un missile droit sur les tours. Alors pourquoi des avions dans ce cas ?...

Variante : la femme de ménage qui entend des explosions. Implication : les deux tours étaient minées d'explosifs. Alors pourquoi envoyer des avions ? Pourquoi ne pas faire sauter les tours et accuser Al-Qaïda d'avoir mis ces explosifs ?

Suppose que l'Etat américain est devenu quasiment nazi, et exerce une terreur impitoyable sur la population.
 

16 - Confondre esprit critique et suspicion généralisée. Croire que les médias mentent intentionnellement. Ne jamais envisager que c'est par négligence, par manque de temps, par préjugés, par précipitation etc. Croire que parce que les politiciens mentent (souvent), ils mentent tout le temps ! Ce qui fait des complotistes des naïfs déçus, qui restent naïfs par rapport à leur méfiance. Ils sont maintenant sûrs qu'il faut se méfier de tout. Sauf de leur propre jugeotte apparemment...

 

17- Confondre celui à qui profite du crime et celui qui le commet. Procédé que n'importe quel lecteur de roman policier connaît. Le détective commence tout de suite par se dire que : ce n'est pas parce que Dupont avait intérêt à tuer sa femme (ou qu'il a dit qu'il allait le faire) que c'est lui qui l'a fait. Les choses seraient tellement plus simples s'il en allait ainsi.

 

17b - Inverser la cause et l'effet : "les attentats du WTC ont amené aux restrictions des libertés, donc c'était le but recherché depuis le début". On croit que la conséquence est à l'origine du phénomène.

 

18 - Dire une chose et son contraire. Si possible dans la même phrase. Ex : "Les assassinats commis par Breivik sont en secret un signal de la mise en place du Nouvel Ordre Mondial." On ne comprend pas très bien pourquoi une conspiration (secrète par définition) enverrait des "signaux" ou des avertissements publics. Si ces signaux sont des avertissements envoyés au monde entier, pourquoi seuls les complotistes pourraient-ils les voir, eux qui sont censés être les résistants ? Si la population ne peut pas les percevoir pas, à quoi bon ?

 

19 - Compliquer inutilement en voulant tout rendre cohérent. Vouloir expliquer à tout prix. Typiquement : si on retrouve un passeport dans les décombres, c'est forcément qu'il a été mis là intentionnellement. Il n'y a pas de hasard, pas de coïncidences. Il suffira ensuite d'inventer que ce passeport était à un terroriste. Bias cognitif qu'on retrouve dans la croyance au fait que les lignes de Nazca ont été tracées par des extraterrestres. On n'envisage pas que quelques techniques rudimentaires (des poteaux et de la corde) puissent permettre de tracer des lignes droites. Autrement dit : par ignorance, on va chercher des causes farfelues et/ou effrayantes.

 

20 - Abuser du conditionnel. Permet de mélanger des faits précis et des informations floues : "un responsable de la CIA aurait été vu à Dubaï, il se serait vanté d'avoir rencontré Ben Laden", etc. Dans les romans policiers, il arrive que le flic déjeune avec le truand. Ils n'en restent pas moins que chacun est d'un côté de la loi. Là encore, les complotistes manquent d'une connaissance élémentaire des romans policiers. Cela leur éviterait, justement, de confondre la réalité et un mauvais feuilleton. Les complotistes ont alors beau jeu d'accuser les médias de mentir en abusant du conditionnel...

 

21 - Se croire plus lucide que tout le monde. "Tous manipulés par l'Empire... sauf moi !" Présupposé massif de quelqu'un comme Le Libre Penseur. En langage Soral : "Tous des tapins du Système, vendus à la communauté organisée dont on n'a pas le droit de dire le nom !" Vision typique des mouvements sectaires : tous pourris, souillés, corrompus, sauf les élus que nous sommes.

Variante plus soft (mais toujours aussi fausse) : "les policiers et les journalistes ne diront jamais la vérité car ils craignent pour leur emploi".

 

21b - Biais corrélé : Accuser les autres des défauts que l'on a mais que l'on refuse d'admettre. Comme par magie, on a alors l'air parfait.

 

22 - S'entêter dans l'erreur. Biais des plus universels et des plus indéracinables, mais porté à un degré inquiétant par certains complotistes, qui s'immoleraient (ou se déconnecteraient d'Internet) plutôt que d'avouer leurs torts. A l'origine d'une aggravation sans fin du raisonnement : on corrige un mensonge par une assertion fausse, puis on accuse les autres de ses propres erreurs parce qu'ils nous manipulent etc.

 

J'arrête ici ce catalogue. Comme je l'ai dit, je ne prétends pas être exhaustif. Je pense que l'intérêt de lister ces biais est de montrer que le contenu importe peu par rapport aux besoins psychologiques à l'origine des illusions complotistes. Dans une conférence, on demandait à l'astronome américain Neil DeGrasse Tyson s'il croyait aux extraterrestres. Il entreprit alors de faire la liste de tous les biais cognitifs qui font que nousvoulons croire aux petits hommes verts.

 

C'est simplement cette volonté de croire que j'ai voulu comprendre en faisant cette liste.

 

A vrai dire, j'ignore toujours si elle vient d'abord de l'ignorance ou de la mauvaise foi caractérisée. J'aime mieux croire que son origine est l'ignorance et que la mauvaise foi n'en est qu'une conséquence grave.

 

Le résultat est en tous les cas le même : une attitude crédule, et un combat fantasmé pour la vérité face à des dirigeants animés d'intentions diaboliques. Une vision si simpliste cache les vrais mensonges et les vrais lâchetés du monde politique. En somme, le complotisme empêche de voir les vrais actes injustifiables de nos dirigeants et de se faire une idée correcte de la façon dont marche le monde (donc aussi de le changer dans le bon sens). Comme disait Spinoza : les hommes luttent pour leur servitude comme s'ils luttaient pour leur salut.

 

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30/09/2013
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